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DATE Baiser
"Baiser"


Ecoeurés par la variété "soft drink" et le rock national "tord boyau", d'aucuns s'enivrèrent sans modération de "Boire", alcool fort cru 1995 signé Miossec. L'esquif du corsaire brestois allait-il éviter l'écueil redoutable du deuxième album ? Equipage étoffé (le fidèle lieutenant Jouan se voit adjoindre trois moussaillons), voilure neuve (les arrangements s'enrichissent) et soutes pleines de bonnes chansons (dont une reprise lugubre du "Salut les amoureux" de Joe Dassin) : "Baiser" tient bien la mer. Entre fleurs du malt et naturalisme grinçant, Miossec, capitaine imbibé mais lucide, garde le cap et explore toujours avec une cruelle justesse les terres accidentées de l'age adulte (amour, politique...). Et ça tangue. Arrivé miraculeusement à bon port, Miossec le soiffard a rassemblé suffisamment de pépites pour payer sa deuxième tournée.


Après son premier « Boire », hymne brillant et désoeuvré aux amours finissantes et, comme l’indiquait le titre, aux beuveries (genre pas trop drôles), Miossec électrise sa prose -ce qui donne, donc, de l’électro-acoustique - et restreint son champ de bataille : les amours finissantes auront seules ou presque les honneurs de « Baiser ». D’un point de vue mélodique, seul « Juste après qu’il ait plu » se hisse à hauteur d’un « Non, non, non » ou de « Recouvrance », points nodaux du précédent album. C’est aussi l’un des plus beaux textes (« Je t’aime bien, mais je ne t’aime plus... », glaçant), parce qu’un des plus simples, avec « La guerre », « Tant d’hommes (et quelques femmes au fond de moi) » et « Ca sent le brûlé », qui témoignent d’une belle acuité, trop d’autres textes s’enfonçant malheureusement, avec force gros mots et aphorismes approximatifs, dans l’anecdote facile ou l’autoflagellation complaisante, avec lesquelles « Boire » flirtait déjà sans, comme ici, s’y perdre. Le parti pris d’irrégularité rythmique phrase musicale/versification (concrètement les phrases sont trop longues) souligne trop souvent les défauts d’une prose un rien redondante. Miossec a choisi les dangers d’un art sur le fil, sale et littéraire, empruntant à Brassens comme à Dylan, à Brel comme aux Stooges. Il semble en avoir les moyens. On dit que le deuxième album est un cap, celui-ci n’est pas raté mais... difficile. Apôtre débraillé mais constant de la mauvaise passe, le groupe devrait nous remettre ça, en mieux, sur le prochain... « Bouffer », sans doute, pour clore le cycle des 3 B ? Retrouvez des infos et partitions de Miossec sur le web (RT)


La question du deuxième album s'annonçait aussi problématique pour Miossec qu'elle l'avait été pour Tricky. Qu'attendre d'artistes ayant infligé les coups de boutoir les plus véhéments à nos principales certitudes, dézinguant sans relâche la grammaire musicale (charrue, boeufs, charrue), dégraissant salutairement le codex des paroles viles et des mauvaises pensées ? On craignait que Miossec n'ait d'ores et déjà "tout dit". Baiser apporte une réponse assez finaude, évasive et séduisante, dont il ressort que ce disque n'est pas tant le second album de Miossec (Christophe), chanteur, que le premier de Miossec, groupe. Boire, c'était tout pour la gueule : les guitares acoustiques étaient réduites à accompagner les mots, fidèles comme un chien mais toujours en retrait, n'aboyant que dans les rares moments où leur maître s'effondrait. A cette époque, Guillaume Jouan, alter ego des débuts, était d'ailleurs crédité au titre de la "musique" - notez le singulier, pleutre et limitatif. Sur Baiser, il accède au statut fier et sexué de compositeur. Il s'est attaché, sans sombrer dans l'artificiel, à agrémenter chaque morceau d'une touche de couleur, d'une dramaturgie qui le distingue. Souvent, c'est une guitare électrique rageuse qui fanfaronne. Elle cancane en entrée de La Fidélité, vagit comme une baleine échouée sur Le Mors aux dents, pilonne la voix sur La Guerre. Grande maîtresse du déséquilibre, elle se lance tête baissée dans les pires voltiges de la balourdise rock'n'roll et retombe toujours du côté de la fulgurance. La batterie, autre innovation casse-gueule, fait des apparitions circonspectes, sur la pointe des balais ou sur le rebord des cymbales, accompagnant chaque morceau de rythmes fracturés et expressifs. On repère aussi un banjo, un piano, de légers effets synthétiques venus faire diversion, égayer les réflexions d'un chanteur querelleur. Evidemment, rien n'y fait. Mots fétides, sentiments d'égouts : chez Christophe Miossec, seul ou en couple, il sera toujours exclusivement question de coups très bas, mais inévitables, de cocufiages à peine masqués et de débandades programmées de longue date. Boire ou Baiser, faut pas choisir. Comme s'il ne s'agissait pas tant pour lui de surenchérir que de venir inlassablement buter sur ses défaites, sur ses impasses, par des chemins vaguement détournés et toujours épineux. Pour s'étonner, il ne reste que le style : sur certains titres de Baiser, celui que l'on avait cru abonné aux grandes gueules se métamorphose. Sa voix baisse d'un ton, son chant se fait caresse et se réfugie dans un chuchotement fatigué et frissonnant. Parfois même, il se tait. On doute trouver un jour quelque chose de plus approprié que les silences de Miossec pour évoquer ces trop nombreux moments où la vie se prend à ressembler furieusement à une longue (petite) mort.

The Big Cliff Corporation ©1999